mercredi 5 septembre 2007

Oyapock à l’assaut du Golfe de Gascogne (Avril 2007)

Mercredi 25 Avril, 10h : briefing des skippers avant le départ pour le Mini-Pavois, 550 milles soit près de 1000 km en solitaire à travers le Golfe de Gascogne.

Nous sommes tous prévenus : force 5 rafales à 6, mer agitée.

Départ : Ile d’Yeu / Arrivée : La Rochelle.

La descente vers l’Espagne sera rapide et musclée ! Le départ est donné à midi et dès l’île de Ré contournée, les 64 concurrents abattent et s’éloignent de la côte vendéenne à la lueur du jour tombant. Le large ne commence pas dès la sortie du port. La Bouée à frontière se situe un peu plus loin. Pour gagner Gijón, il faut une poignée d’heures. D’abord faire route Sud - Sud Ouest et regarder le soleil se coucher en avant sur tribord. Ensuite laisser passer la nuit, retrouver les sensations de l’obscurité, sentir la fatigue s’accumuler. Enfin, commencer lentement à faire corps avec le bateau et deviner, à l’instinct, les meilleurs réglages pour aller vite.

Au petit matin, la couleur de la mer a changé: le bleu-vert des eaux côtières a cédé la place à des vagues grises et écumantes. J’y ai goûté largement pendant la nuit lorsqu’il a fallu intervenir à l’avant pour réduire la voilure ! Sur l’horizon, les voiles blanches des concurrents se font plus rares. La côte est loin maintenant, on attaque bientôt la césure du plateau continental qui rend la mer cassante et dangereuse. Je suis détrempée, je me prépare un thé brûlant pour me réchauffer. Enfin le large est là. Et tout y est: le goût de l’aventure, la recherche de la performance, le spectacle de la nature, des émotions hors normes, sans compter les frayeurs de la nuit…

Partie m’allonger une 20aine de minutes, je ne prends pas conscience assez vite que le vent est monté très rapidement jusqu’à force 8. Lorsque je sors la tête, le bateau est en train de se coucher, le bout-dehors est tordu et est parti se réfugier sous le vent. Le genaker (grosse toile d’avant amurée sur le bout-dehors) est dans l’eau et chalute, super. Il faut réagir vite, la contre-écoute est coincée et travaille dur sur la tenue de l’étai (le câble qui maintient le mât à l’avant). Je le vois fléchir à chaque vague déferlante: je risque à tout moment de démâter. Je sors un couteau tranchant, prête à libérer le gréement, mais une vague mieux orientée m’aide à redresser et je pars en fuite sous le vent le temps de ramasser mon genaker. Pfiou, je me serai bien passée de cette émotion ! Mais ce n’est pas fini et le jour se lève à peine lorsque le génois, fatigué par de nombreuses courses, se déchire au moment où je l’affale. Je suis verte, il ne s’est pas encore écoulé 24 heures depuis le départ! Ma VHF ne capte aucun bateau, je suis seule en course et je ne sais pas qu’alors, une douzaine de minis a déjà abandonné, que 2 concurrents sont passés par-dessus bord (ils avaient leurs harnais et ont réussi à remonter), que certains, trempés, se sont mis en tenue de survie, sans compter les marins qui ont le mal de mer et qui ne s’alimentent pas.

La côte espagnole est en vue lorsque le vent mollit. Il est 23h40 jeudi soir, je distingue la jetée du port de commerce de Gijon et surtout l’ombre de 2 minis 6,50, à portée de main. Je suis alors plutôt bien placée (24ème sur 64) et à l’approche de la bouée des « Amozucas», je suis parée à envoyer mon grand spi. Ni d’une ni de deux, je les double sans pouvoir même les saluer, ma VHF est hors service. Tant pis, on se fera des politesses plus tard.

Les 240 milles de la descente vers l’Espagne ont été éprouvants, et je dois maintenant parcourir la même distance au cap 36° jusqu’à l’île d’Yeu. Le Golfe a totalement changé de visage : le soleil se lève comme sur un lac. Pas une risée à l’horizon. Dans un rayon de quelques milles, 6 ou 7 minis errent en tout sens à l’affût du moindre souffle. Un nouveau système météo se profile. Bel exercice de style, si ce n’est que France Inter a donné la priorité au football deux soirs de suite et ne diffuse pas de bulletin large au grand dam des coureurs! Je suis donc pauvre en information, mais l’expérience du Mini-Fastnet 2006 m’a laissé un souvenir amer des anticyclones : ce sera donc route directe. Il va falloir profiter des bascules de vent qui obligent à rester vigilant en permanence. Autant dire que le sommeil que j’ai bien su gérer à la descente est un avantage de poids …

A bord d’Oyapock, je n’ai plus de génois et je le regrette. Mon solent n’est pas adapté (trop petit) et je perds de précieuses encablures par rapport à mes concurrents. Au passage de la cardinale ‘los Amozucas’, la moyenne de la flotte passe d’un sympathique 8 nœuds à un malheureux nœud. Le vent de secteur Est dominant repasse faiblement au Nord dans la nuit, puis taquine le secteur Ouest pour revenir au Nord avec de capricieuses pointes à 5 noeuds. Tandis que des dauphins viennent lui caresser l’étrave, Oyapock joue avec les bascules tant qu’il le peut. La deuxième nuit de la remontée, je suis comme scotchée dans la brume. Au lever du jour, j’ai même l’impression de reconnaître les algues de la veille ! La fin du parcours à l’approche de l’île d’Yeu me permet enfin de retrouver des compagnons de jeu et un petit vent frais pour les derniers 70 milles jusqu’à La Rochelle. Il y a beaucoup de chalutiers et l’esprit de régate qui reprend le dessus m’interdit de dormir. Lundi 29 Mai, 11h38 : Oyapock passe la ligne d’arivée en 35ème position (milieu de tableau) après 5 jours de mer. Je suis un peu déçue, mais le plus important est gagné : j’ai progressé dans ma gestion du sommeil et dans l’enchaînement des manœuvres. Et surtout,il y a déjà l’envie de répéter l’expérience, de continuer l’aventure du large, et faire les meilleurs résultats possibles.

Si je cours la Transat 6.50 en septembre, c’est pour retrouver tout ça. Pour aller chercher au plus profond de moi-même des ressources et des sensations inconnues à terre. Pour vivre des histoires que l’on ne retrouve pas ailleurs. Pour vivre une aventure humaine, tout simplement.

Cette aventure, je vous invite à la partager avec nous au cours des 4 courses qu’il nous reste avant la grande traversée de l’automne ! Prochain RDV fin Mai avec la course « Demi-clé 6,50» de Lorient à Douarnenez, en double, et à travers l’Archipel des Glénans.

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