"Le règlement de la course fait que seuls ta position, ta vitesse instantanée, et ton classement provisoire nous étaient communiqués régulièrement. Or, dans ton diaporama et ton dernier récit, tu évoques des problèmes de voile déchirée et de voies d'eau ! Peux-tu nous en dire un peu plus ? Comment, techniquement, s'est déroulée cette longue étape ?"
Connaissez-vous les GDJ ? Les Galères Du Jour... A bord d´un mini 6,50, il y en a tous les jours, il faut savoir jongler pour s´en sortir et continuer la course coûte que coûte ! En voici quelques unes des plus remarquables vécues pendant cette 2ème étape, et qui sont venues agrémenter mon quotidien de solitaire.
Dès les premiers jours ...
La 2ème étape a commençé difficilement puisque j'ai détecté des défaillances de pilote dès la première journée. Comme je dispose de redondances, j´ai préféré ne pas m´attarder sur ces problèmes plutôt que de délaisser un moment les réglages alors qu´on était encore au touche à touche avec les autres skippers. Et je pense que j´ai bien fait de m´accrocher à ce moment-là car la tâche est tout-de-même plus facile à rattraper des concurrents à vue ou en portée VHF, plutôt que de faire une performance vitesse lorsqu´on est seul au milieu de l´océan.
Passage musclé aux Canaries
Dans la série des faux problèmes, à l´approche des Canaries, j´ai décidé de passer à l' intérieur des îles, entre Palma et Hierro, pour profiter de l´effet Venturi (le vent prend plusieurs beauforts). Ce passage était beaucoup plus éprouvant que ce que je m´imaginais. A la tombée de la nuit, j'ai affalé mon grand spi en faisant un départ au tas (le fameux départ à l´abattée), puis j´ai du réduire la toile jusqu´au 3ème ris et plus de voile à l'avant. Avec ma lampe torche, j'ai découvert qu'une latte de ma grand voile était rompue, ce qui ne m'étonnait qu'à moitié étant donné les 37 noeuds de vent qu'affichait mon anémomètre. Le risque, outre la performance, était de déchirer la grand voile. A ce moment-là, les vagues étaient vraiment très grosses et déferlaient sur l´arrière-train du bateau. Impossible de m'arrêter. Vers 5 heures TU, Hugo Jamon (ESP 450) m´annonce à la VHF qu´il a cassé une barre de flèche. Au lever du jour, je rentre volontairement dans le dévent de Hierro pour affaler et remplacer ma latte. Et j´ai la très agréable surprise de constater que la voile est intègre ! Quelques égratignures tout au plus... En réalité, de nuit, la voile portait tellement sur les haubans et les barres de flèche que ma vision avait fossé mon jugement. La nuit a été dure à la barre, je descends m'allonger. Le fond du bateau est plein d´eau que je goûte, elle est douce ! Je fais le bilan des bidons, 2 d´entre eux se sont dévissés... il ne me reste que 60 litres d´eau pour 2500 milles.
Energie, quand tu nous tiens ...
Monaco radio, Monaco zéro
Par dessus bord ...
Une nuit qui n'en finit pas
L´île de Fernando est enfin passée. A présent, cap sur la côte que je compte longer à une 30aine de milles. La nuit, je cède la barre volontiers au pilote qui fait une trajectoire bien meilleure que moi dans ces conditions de vent. Toutes les 20 minutes, je me lève, je scrute l´horizon, rerègle les voiles si besoin ou bien le pilote. La fatigue aidant, alors que j´optimise les réglages du pilote, celui-ci vire sans prévenir ... Je n´ai pas le temps de réagir, le bateau se retrouve gîté dans l´autre sens, toute voile à contre. La bôme est en appui sur la bastaque à contre et un gros sac de matossage de plus de 20 kg est passé par-dessus bord. Heureusement, il est toujours amarré... Je pare au plus pressé en affalant mon génois car il n´est pas question de le déchirer (je vous rappelle que je n´ai plus que lui ...), je m´occupe de la grand-voile et des bastaques qui font travailler le gréement et la bôme.
Lors de la fausse manoeuvre, mon genak est à poste au bout du bout dehors, enroulé. Bien entendu, le bout-dehors part sous le vent dans le virement, détend le guindant de la voile qui vient se loger entre la grand voile et le 2ème niveau de barre de flèche. Lorsqu´enfin j´affale le genak, je constate que le résultat n´est pas joli joli ... la voile est déchirée le long d´une couture sur 80 cm au niveau de la têtière (le haut de la voile). Je saute sur le sac de matossage pour le récupérer mais tous mes efforts sont vains. A forcer, je risque plus de tomber par dessus bord en glissant (je me prends des paquets d´eau énormes) ou bien de me casser le dos. Je réfléchis. Il vaut mieux virer, le sac se retrouvera au vent et je pourrai le hisser avec la drisse de spi. Sitôt dit, sitôt fait, j´envoie le virement et récupère bientôt le sac, sain et sauf. Ouf, cette fois-ci, je n´ai rien perdu par dessus bord. Juste quelques bonnes encablures du mini 491, un proto qui me devance d´une dizaine de milles ...
Photo : réparation de mon genaker avec de l'insignat.
Je suis frigorifiée car j´ai du agir vite et je n´ai pas eu le temps de m´habiller. A l´intérieur, j´ai les pieds dans l´eau. Ca m´inquiète. Il y a toujours de l´eau qui traîne dans les fonds, mais pas autant...Voie d´eau ? Il n´y a rien d´apparent. Comme je suis crevée et que je veux bien croire que ce n´est pas catastrophique, je m´endors sur mon matelas dégonflé et tout trempé... Toutes les 2 heures, je vide un seau d´eau. La quantité n´a pas l´air de varier, bonne nouvelle ! Au lever du jour, après une inspection minutieuse du gréement, je m´atèle à la tâche : il faut trouver les entrées d´eau. Ma grande crainte est une ferrure de la cadène d´étai, à l´avant, qui vient se reprendre sur le cône avant du bateau, et qui tient le mât. Heureusement, en ouvrant la crash-box, je la constate intacte. Pas une seule gouttelette d´eau, pfiou ... La bouteille de champagne qui a percuté une petite dizaine de fois le balcon avant d´Oyapock lors de son baptême n´a rien cassé (J´en étais venue à y penser ...). Par contre, de l´eau ruisselle le long du mât. Il est vrai que depuis Fernando, la mer est très croisée et des vagues balaient le pont en permanence. L´eau s´infiltre aussi goulûment derrière les blocs d´insubmersibilité, à l´arrière du voilier, au niveau de la jonction entre le vérin - situé à l´intérieur - et le safran –à l´extérieur -. Comme le bateau est sérieusement gîté, l´eau rentre par le soufflet dont l´étanchéité n´est plus assurée. Moi je suis rassurée, il n´y a rien de grave. Quelques heures auparavant, le mini que j´avais à la VHF m´avait conseillé de déclencher ma balise car la situation pouvait vite se dégrader. J´y pensais sérieusement et je l´aurais fait si par malheur, la voie d´eau s´était avérée plus sérieuse...
Le charme des côtes brésiliennes
"Plus que 3 jours de mer tout au plus ..." C est bon de sentir qu' on va bientôt arriver ! Mais alors que je longe la côte brésilienne à 25 milles, je perçois un bruit un peu sourd et surtout inhabituel dans le bateau. Il est 5h45 TU, je viens de me coucher pour 20 minutes. Je me dis : "si je l'entends à nouveau, je sors..." Au bout de la 3ème fois, je bondis de ma bannette et sors comme une flèche. Je comprends très vite, le bateau, pleine balle encore il y a quelques minutes, est stoppé net toutes voiles gonflées. Oyapock est pris au piège dans un filet. Dans l' obscurité, à une 40aine de mètres, je perçois l' ombre d' une tapouille brésilienne, tout feu éteint. J' inspecte ma quille fluo, en me penchant : le bout est pris tout au fond, dans le bulbe, et je suis en train de glisser tout doucement vers l'extrémité du filet, signalée par une perche et des bouées. Bon dieu, je suis passée à 2 doigts de rentrer dans leur tapouille, vu ma trajectoire... Oyapock se serait transformé en une belle arche de Noé, avec ces 5 brésiliens que je vois maintenant sortir de la tapouille ! J'ai vraiment eu de la chance. J'affale le genak (que j'ai réparé tant bien que mal) et la grand voile. Je suis sur le point de plonger avec un couteau mais j'essaie un dernier truc, car je soigne une otite depuis 3 jours, et le plongeon est vraiment déconseillé. Le jour se lève alors que je me détache tout doucement, grâce au courant. Grand jour de chance pour moi, au fond !
Pour ceux qui sont arrivés au bout de ces GDJ, un grand bravo ... C´est au fond un peu comme si vous étiez arrivés jusqu'au Brésil !