mercredi 7 novembre 2007

Ma transat... par Véronique - 2ème épisode

6 octobre - De l'espace pour la mer sur la ligne de départ à Madère
Photo Pierrick Garenne / Grand Pavois

"Le règlement de la course fait que seuls ta position, ta vitesse instantanée, et ton classement provisoire nous étaient communiqués régulièrement. Or, dans ton diaporama et ton dernier récit, tu évoques des problèmes de voile déchirée et de voies d'eau ! Peux-tu nous en dire un peu plus ? Comment, techniquement, s'est déroulée cette longue étape ?"

Connaissez-vous les GDJ ? Les Galères Du Jour... A bord d´un mini 6,50, il y en a tous les jours, il faut savoir jongler pour s´en sortir et continuer la course coûte que coûte ! En voici quelques unes des plus remarquables vécues pendant cette 2ème étape, et qui sont venues agrémenter mon quotidien de solitaire.

Dès les premiers jours ...

La 2ème étape a commençé difficilement puisque j'ai détecté des défaillances de pilote dès la première journée. Comme je dispose de redondances, j´ai préféré ne pas m´attarder sur ces problèmes plutôt que de délaisser un moment les réglages alors qu´on était encore au touche à touche avec les autres skippers. Et je pense que j´ai bien fait de m´accrocher à ce moment-là car la tâche est tout-de-même plus facile à rattraper des concurrents à vue ou en portée VHF, plutôt que de faire une performance vitesse lorsqu´on est seul au milieu de l´océan.

Passage musclé aux Canaries

Dans la série des faux problèmes, à l´approche des Canaries, j´ai décidé de passer à l' intérieur des îles, entre Palma et Hierro, pour profiter de l´effet Venturi (le vent prend plusieurs beauforts). Ce passage était beaucoup plus éprouvant que ce que je m´imaginais. A la tombée de la nuit, j'ai affalé mon grand spi en faisant un départ au tas (le fameux départ à l´abattée), puis j´ai du réduire la toile jusqu´au 3ème ris et plus de voile à l'avant. Avec ma lampe torche, j'ai découvert qu'une latte de ma grand voile était rompue, ce qui ne m'étonnait qu'à moitié étant donné les 37 noeuds de vent qu'affichait mon anémomètre. Le risque, outre la performance, était de déchirer la grand voile. A ce moment-là, les vagues étaient vraiment très grosses et déferlaient sur l´arrière-train du bateau. Impossible de m'arrêter. Vers 5 heures TU, Hugo Jamon (ESP 450) m´annonce à la VHF qu´il a cassé une barre de flèche. Au lever du jour, je rentre volontairement dans le dévent de Hierro pour affaler et remplacer ma latte. Et j´ai la très agréable surprise de constater que la voile est intègre ! Quelques égratignures tout au plus... En réalité, de nuit, la voile portait tellement sur les haubans et les barres de flèche que ma vision avait fossé mon jugement. La nuit a été dure à la barre, je descends m'allonger. Le fond du bateau est plein d´eau que je goûte, elle est douce ! Je fais le bilan des bidons, 2 d´entre eux se sont dévissés... il ne me reste que 60 litres d´eau pour 2500 milles.

Energie, quand tu nous tiens ...

La descente depuis les Canaries jusqu´à Saõ Vincente (îles du Cap Vert) est marquée à nouveau par des soucis d'énergie. Je consulte mon répétiteur qui m'indique un taux à 0% de la capacité de mes batteries. En parallèle, la puissance du pilote s'amoindrit et me prouve par là que mon vérin hydraulique va bientôt me faire faux bond. J'essaie de décorréler les 2 problèmes : pour la capacité, je ne suis pas très inquiète, je pense plutôt à un problème de configuration au départ de Madère qu'à un véritable problème technique, car les tensions de mes 2 batteries m´indiquent des valeurs tout à fait nominales. De plus, ma pile à combustible fonctionne parfaitement depuis le départ. Arrive ce qui devait arriver ! Le calculateur m´indique dans les heures qui suivent que je suis en limite basse de tension d´alimentation du vérin hydraulique. Je switche sur le vérin électrique (qui consomme beaucoup moins d´énergie) et profite du fait que la mer soit plus calme pour faire un check de mon installation électrique. Je sais que je ne dispose pas de beaucoup de temps, car le vérin électrique va, lui aussi, bientôt me lâcher. J´ai prévu à bord un petit kit de matériel électrique. Il contient un multimètre qui m´est alors bien utile ! Le bateau est petit, mais finalement, il y a pas mal de circuits et de torrons de câbles. Pas tout-à-fait autant que la fusée Ariane, mais quand même. Démonter tout alors que le bateau bouge, et que l´eau rentre beaucoup trop facilement, ça n´est pas évident. Enfin je trouve la faille, c´est un faux contact situé sur le circuit entre le calculateur et mes batteries. Il était temps, car le vérin électrique a lui aussi lâché prise. J´ai du basculer sur mon calculateur Raymarine, un calculateur de secours (beaucoup moins performant). Quand on y pense ultérieurement, à froid, ça n´est pas grand chose. A chaud, c´est une autre affaire, surtout lorsqu´on sait qu´à la clé, il y a peut-être une escale qui peut sérieusement m´handicaper côté résultat !
Photo : le vérin électrique au travail !

Monaco radio, Monaco zéro

Comme j´avais eu des soucis lors de la première étape pour capter l´ensemble des bulletins météo, j´ai profité de mon escale à Madère pour changer l´antenne qui court le long des haubans et refaire une belle soudure à ma prise jack. Malheureusement, comme certains ministes, j´ai très rapidement été victime d´infiltrations au niveau de la jonction du pont et ma BLU n´a pas supporté le bain. Si bien que cela m´a empêché de reçevoir sereinement le bulletin météo de la course diffusé par Monaco Radio, une radio qui diffuse des informations par satellite. Handicap supplémentaire : je n´avais pas non plus le loisir de noter les classements et les distances à l´arrivée de mes concurrents ... Très frustrant lorsqu´on songe que les autres en disposent ! A 11h30 TU, j´écoutais assidument Arielle Cassim, une voix que les marins connaissent bien sur RFI (qui se reçoit parfaitement sans antenne spécifique). Mais comme RFI n´avais pas cette année de contrat avec l´organisation de la course, les bulletins météo se sont arrêtés au pot-au-noir. De temps à autre, j´avais un skipper à la VHF à qui je demandais le bulletin de Monaco Radio. Encore que, de l´avis de tous, la diffusion de cette radio soit, au mieux ... de qualité médiocre !

photo : Arielle CASSIM (RFI) était présente à La Rochelle lors du départ; ici avec Véronique à qui elle apporte quelques indications sur la diffusion de ses bulletins quotidiens.

Par dessus bord ...

L´île de Fernando de Noroña est en vue. Ca fait maintenant 2 ou 3 jours que je suis au près sous génois (voile d´avant de 18 m²) pour passer le cap de l´ile. Pas question de perdre du temps à faire un contre-bord. Le vent monte pendant la nuit, je pousse un peu la configuration du génois en réduisant la grand-voile, même s´il vaut toujours mieux réduire l´avant en premier. Au lever du jour, le vent atteint les 20 noeuds, je constate que le bateau enfourne trop. Il est temps, faut sortir changer la voile d´avant. A l´extérieur, surprise. Le solent, ma voile d´avant de 14 m² n´est plus là. Encore hier, elle était matossée dans son sac, au vent, avec mes bidons remplis d´eau de mer. L´amarrage aux filières n´a pas tenu, je m´en veux... Non seulement je n´ai plus de voile pour réduire la voilure à l´avant, mais j´ai sacrément bien joué le rôle de la pollueuse, et tout ça, par étourderie ! A Bahia, j´apprendrai plus tard que plusieurs ministes ont perdu des équipements : 4 panneaux solaires ont éte arrachés dans des vracs, un genaker, un solent, et un bidon d´eau.
Photo : matossage de bidons et du solent à bord d'Oyapock

Une nuit qui n'en finit pas

L´île de Fernando est enfin passée. A présent, cap sur la côte que je compte longer à une 30aine de milles. La nuit, je cède la barre volontiers au pilote qui fait une trajectoire bien meilleure que moi dans ces conditions de vent. Toutes les 20 minutes, je me lève, je scrute l´horizon, rerègle les voiles si besoin ou bien le pilote. La fatigue aidant, alors que j´optimise les réglages du pilote, celui-ci vire sans prévenir ... Je n´ai pas le temps de réagir, le bateau se retrouve gîté dans l´autre sens, toute voile à contre. La bôme est en appui sur la bastaque à contre et un gros sac de matossage de plus de 20 kg est passé par-dessus bord. Heureusement, il est toujours amarré... Je pare au plus pressé en affalant mon génois car il n´est pas question de le déchirer (je vous rappelle que je n´ai plus que lui ...), je m´occupe de la grand-voile et des bastaques qui font travailler le gréement et la bôme.

Lors de la fausse manoeuvre, mon genak est à poste au bout du bout dehors, enroulé. Bien entendu, le bout-dehors part sous le vent dans le virement, détend le guindant de la voile qui vient se loger entre la grand voile et le 2ème niveau de barre de flèche. Lorsqu´enfin j´affale le genak, je constate que le résultat n´est pas joli joli ... la voile est déchirée le long d´une couture sur 80 cm au niveau de la têtière (le haut de la voile). Je saute sur le sac de matossage pour le récupérer mais tous mes efforts sont vains. A forcer, je risque plus de tomber par dessus bord en glissant (je me prends des paquets d´eau énormes) ou bien de me casser le dos. Je réfléchis. Il vaut mieux virer, le sac se retrouvera au vent et je pourrai le hisser avec la drisse de spi. Sitôt dit, sitôt fait, j´envoie le virement et récupère bientôt le sac, sain et sauf. Ouf, cette fois-ci, je n´ai rien perdu par dessus bord. Juste quelques bonnes encablures du mini 491, un proto qui me devance d´une dizaine de milles ...

Photo : réparation de mon genaker avec de l'insignat.

Je suis frigorifiée car j´ai du agir vite et je n´ai pas eu le temps de m´habiller. A l´intérieur, j´ai les pieds dans l´eau. Ca m´inquiète. Il y a toujours de l´eau qui traîne dans les fonds, mais pas autant...Voie d´eau ? Il n´y a rien d´apparent. Comme je suis crevée et que je veux bien croire que ce n´est pas catastrophique, je m´endors sur mon matelas dégonflé et tout trempé... Toutes les 2 heures, je vide un seau d´eau. La quantité n´a pas l´air de varier, bonne nouvelle ! Au lever du jour, après une inspection minutieuse du gréement, je m´atèle à la tâche : il faut trouver les entrées d´eau. Ma grande crainte est une ferrure de la cadène d´étai, à l´avant, qui vient se reprendre sur le cône avant du bateau, et qui tient le mât. Heureusement, en ouvrant la crash-box, je la constate intacte. Pas une seule gouttelette d´eau, pfiou ... La bouteille de champagne qui a percuté une petite dizaine de fois le balcon avant d´Oyapock lors de son baptême n´a rien cassé (J´en étais venue à y penser ...). Par contre, de l´eau ruisselle le long du mât. Il est vrai que depuis Fernando, la mer est très croisée et des vagues balaient le pont en permanence. L´eau s´infiltre aussi goulûment derrière les blocs d´insubmersibilité, à l´arrière du voilier, au niveau de la jonction entre le vérin - situé à l´intérieur - et le safran –à l´extérieur -. Comme le bateau est sérieusement gîté, l´eau rentre par le soufflet dont l´étanchéité n´est plus assurée. Moi je suis rassurée, il n´y a rien de grave. Quelques heures auparavant, le mini que j´avais à la VHF m´avait conseillé de déclencher ma balise car la situation pouvait vite se dégrader. J´y pensais sérieusement et je l´aurais fait si par malheur, la voie d´eau s´était avérée plus sérieuse...

Le charme des côtes brésiliennes

"Plus que 3 jours de mer tout au plus ..." C est bon de sentir qu' on va bientôt arriver ! Mais alors que je longe la côte brésilienne à 25 milles, je perçois un bruit un peu sourd et surtout inhabituel dans le bateau. Il est 5h45 TU, je viens de me coucher pour 20 minutes. Je me dis : "si je l'entends à nouveau, je sors..." Au bout de la 3ème fois, je bondis de ma bannette et sors comme une flèche. Je comprends très vite, le bateau, pleine balle encore il y a quelques minutes, est stoppé net toutes voiles gonflées. Oyapock est pris au piège dans un filet. Dans l' obscurité, à une 40aine de mètres, je perçois l' ombre d' une tapouille brésilienne, tout feu éteint. J' inspecte ma quille fluo, en me penchant : le bout est pris tout au fond, dans le bulbe, et je suis en train de glisser tout doucement vers l'extrémité du filet, signalée par une perche et des bouées. Bon dieu, je suis passée à 2 doigts de rentrer dans leur tapouille, vu ma trajectoire... Oyapock se serait transformé en une belle arche de Noé, avec ces 5 brésiliens que je vois maintenant sortir de la tapouille ! J'ai vraiment eu de la chance. J'affale le genak (que j'ai réparé tant bien que mal) et la grand voile. Je suis sur le point de plonger avec un couteau mais j'essaie un dernier truc, car je soigne une otite depuis 3 jours, et le plongeon est vraiment déconseillé. Le jour se lève alors que je me détache tout doucement, grâce au courant. Grand jour de chance pour moi, au fond !

Pour ceux qui sont arrivés au bout de ces GDJ, un grand bravo ... C´est au fond un peu comme si vous étiez arrivés jusqu'au Brésil !