mardi 16 novembre 2010

Les hallucinations en mer

Mardi 16 novembre 2010

Comment se passe le sommeil à bord ?
Les conditions météo et la conduite du bateau dictent la conduite du skipper qui est au service de son bateau. Donc si au bout de 5 minutes (ou même 1 malheureuse petite minute parfois !), le bateau nous paraît déséquilibré, il faut se lever et aller régler le problème. Adieu grasse mat, lit douillet et couette moelleuse ! A bord, c’est un sommeil haché menu et un sac à voile tout trempé en guise d’oreiller et de matelas...

As-tu déjà eu des hallucinations à cause du manque de sommeil ?
Oui, plusieurs fois ! Les pires hallucinations que j’ai vécues se sont produites lors de ma participation à ma première course en solitaire (la Select 6.50, 3 jours à slalomer entre les îles de Bretagne Sud et de la Vendée). J’avais peu d’expérience en solitaire, donc le stress était au maximum. D’autant plus qu’il ne fallait pas s’endormir épuisée et se retrouver sur les caillasses d’une des îles… Après avoir passé 48h à très très peu dormir, la 3ème nuit j'ai succombé aux hallucinations ! Je ne savais même pas que ça existait. Et à vrai dire, ce n’est qu’en échangeant avec les autres coureurs à l’arrivée, après avoir retrouvé tous mes esprits, que j’ai pris conscience que cela existait bel et bien.

Qu'as-tu vu ?
J’ai connu deux types d’hallucinations :
1) Des hallucinations pour se distraire (on dirait en tout cas…). Par exemple, en pointant la pointe Sud de l’île de Groix (qui s’appelle la pointe des Chats), j’ai fini par voir un chat noir qui se promenait sur le bout de mon bout dehors à l’étrave du bateau. Et même si je m’affairais à une manœuvre et que j’oubliai la présence de ce chat, je le retrouvais plusieurs minutes après toujours au même endroit, comme si c’était vraiment la réalité. C’est vrai qu’il y avait cette nuit-là trop peu de vent pour mettre le pilote et nous étions tous scotchés à la barre. Impossible donc de mettre le pilote. Et donc impossible de se reposer. D’autres concurrents ont imaginé longer un paquebot à bord de leurs toutes petites embarcations de 6,50 m, paquebot dont les fenêtres étaient toutes allumées (alors qu’il s’agissait en réalité du ciel étoilé). Une concurrente s’était également inquiétée de découvrir un nouveau phare (alors qu’en réalité, il s’agissait de la Lune et que l’on sait parfaitement, elle la première, que les phares clignotent et que ce n’était pas la peine de chercher sur la carte…).
2) Par ailleurs, il m’est arrivé plusieurs fois d’inventer des solutions à un problème qui n’en avait pas. A force de chercher une solution dans la réalité, et ne la voyant pas arriver, j’avais basculé dans un monde imaginaire pour trouver une solution qui m’arrangeait… C’était tellement plus facile ! Par exemple, la même nuit de cette fameuse Select 6,50, j’étais tellement HS que j’ai imaginé expliquer à Karen Lebovici (une autre coureuse qui a fait un Vendée Globe, et qui participait à la même course cette nuit-là) comment marchait mon bateau. A l’issue de mes explications, je lui ai cédé la barre pour aller enfin me reposer à l’intérieur. C’était une course en solitaire, et bien évidemment Karen n’était pas à bord… J’étais plutôt assez fâchée lorsque le pilote, quelques dizaines de secondes plus tard, a commencé à bipper pour montrer qu’il ne suivait plus la route. J’avais déjà eu le temps de m’endormir, crevée comme j’étais. Je me suis dis qu’elle était un peu gourde la Karen, que c’était bien beau d’être connue mais si elle ne savait pas piloter le bateau par tout petit temps, elle n’avait qu’à aller se rhabiller ! Contrainte de ressortir, j’ai pris conscience qu’il n’y avait personne à tenir la barre. Et je l’ai donc reprise !

Et pendant ta dernière course Les Sables – Les Açores – Les Sables ?
J’ai perdu mes 2 pilotes lors de la première étape. J’ai donc fait les ¾ de la première étape la main sur la barre. Pas facile pour dormir (ni pour manger, ou toute autre chose non plus évidemment !). La course a duré 6 jours et la dernière nuit, à nouveau de la pétole et la main sur la barre sous spinnaker. Comme aucune solution ne se présentait à moi dans la réalité, j’en ai trouvé une qui me rassurait dans mon imagination : j’ai imaginé (et donc vu !) un collègue (qui je connais très peu, mais qui a souvent réponse à beaucoup de graves problèmes chez Arianespace…) en train de penser très fort à bord du bateau. En fait, l’écoute (la corde qui retient le spi) traversait le cockpit en latéral, et, dans mon imagination, prenait corps. J’imaginais ce monsieur assis, les bras écartés (le long de la corde, pour que ca ressemble plus à la réalité), la tête baissée pour mieux penser. Évidemment, comme il réfléchissait à trouver une solution à mon problème, je restais silencieuse en attendant que germe la solution ! Ça a duré un paquet de temps…. En fait, les hallucinations sont le fruit de notre imagination à chacun, et chacun a les siennes propres ! Tout se passe dans le cerveau !