mardi 11 septembre 2007

Maxi-Tempête pour Mini 6,50 (Juillet 2007)

Samedi 21 Juillet, 15h : C’est l’effervescence sur les pontons de Port-Bourguenay. Nous sommes à la veille du départ de la Transgascogne, toute dernière course dans le calendrier des minis 6,50 avant l’épreuve reine, la Transat 6,50. La Transgascogne peut se courir en double mais, comme la plupart des skippers qui vont participer à la Transat 6,50, j’ai décidé de m’aligner en solo sur la ligne de départ. Au fil des derniers mois, j’ai apporté des modifications à bord que je compte bien valider à cette occasion. J’ai réinstallé ma pile à combustible, qui a été révisée. J’ai fait un check de mespilotes et des redondances apportées pour palier à de multiples pannes. J’ai changé presque tout mon gréement courant (les drisses et les écoutes ont été matelotées). Et j’ai embarqué de nouvelles voiles, qui se reconnaissent de loin: Oyapock porte fièrement ses nouvelles couleurs, celles de l’Essonne et de l’espace. Beaucoup de mes concurrents viennent me le dire et même me féliciter. «De l’espace pour la mer » est devenu un repère pour eux !

Dimanche 22 Juillet, 8h30 : Briefing des skippers. Le directeur de course nous annonce une descente musclée, avec des vents de 35 nœuds. Je fais la grimace : force 8, c’est ce que nous avons connu Oyapock et moi lors de la qualif’ hors course (1000 milles en solitaire, sans assistance et sans escale). Et ce n’est pas un excellent souvenir, d’autant que je n’avais plus d’électricité à bord. Mais le directeur de course a pris la décision de donner le départ à l’heure prévue. Conseillé par un météorologue de Météo France, il a pesé les risques. C’est un ancien coureur mini, il sait à quel point nos bateaux sont marins. Il sait aussi qu’ils vont bientôt traverser l’Atlantique.

Dimanche 22 Juillet, 12h02 : Le coup de canon est donné. Je prends un départ médiocre et, à la bouée de dégagement, j’envoie mon tout nouveau spi «de l’espace pour la mer ». Ces premières encablures ne sont pas très encourageantes, mais Oyapock et moi on ne se laisse pas impressionner. Après le bord de spi, j’envoie mon tout nouveau Genaker. J’ai modifié la surface et la forme de cette voile d’avant fixée sur le bout-dehors. Elle est maintenant plus plate, ce qui la rend plus fine au réglage. J’en fais vite l’expérience en rattrapant « Orange mini » devant les Sables d’Olonne. Toute l’après-midi, je le taquine. J’ai trouvé le bon réglage et je le double gentiment. Quel plaisir ! Mais le marin d’Orange ne se laisse pas faire et finit par reprendre l’avantage. Je perds la bataille à la nuit tombante…

Lundi 23 Juillet, 4h30 : Le vent a beaucoup forci. Dans la nuit, j’ai du aller 5 fois à l’avant pour réduire la voilure. De traîtres vagues, que je n’ai pas vu venir, m’ont rempli les bottes et de l’eau s’est infiltrée par le col. L’eau n’est pas froide, mais reste sacrément humide. Guettant la bascule à droite qui va me permettre de virer vers l’Espagne, je n’ai pas asez dormi (3 fois ¼ d’heure). Je vire enfin. La fatigue se fait sentir et je baisse la garde. Tout à coup, j’entends le génois d’un conçurent ralinguer violemment sous le vent: l’instant d’après, dans le noir, je devine la proue du mini 121, un vieux proto, qui passe à quelques dizaines de centimètres de mon tableau arrière. Nous avons frôlé la catastrophe. Surtout moi, qui aurais été éperonnée dans le flanc, malgré la priorité ! Mon cœur bât la chamade pendant quelques secondes, … je m’en veux !

Lundi 23 Juillet, 10h : La mer est devenue blanche. Fini de rire, il y a maintenant nécessité absolue de s’attacher au bateau. Des trains de nuages noirs se succèdent les uns aux autres et une pluie horizontale tombe en trombe dessous, je retiens ma respiration à chacun de leur passage. Sapristi, la traîne active de la dépression, dont le météorologue nous a parlé au briefing, s’annonce fichtrement corsée ! Dans un premier temps, je refuse de croire l’alarme sonore de mon baromètre qui indique que nous perdons 4 hPa/heure, une pente vertigineuse qui se maintient pourtant pendant plusieurs heures. Puis je finis par me rendre à l’évidence : le vent atteint maintenant les 45 nœuds établis, les rafales montent à 48. Le grand frais force 8 annoncé s’est transformé en un force 9 rafales à 10 ! Sous l’écume et la mousse, on devine une mer grise, méchante. Des rayons de soleil percent encore et rendent la tempête magnifique. A bord, j’ai la sensation de « faire au mieux » avec une situation qui n’est plus vraiment maîtrisable. Sous les grains, je sens qu’on force sur la bête et, par 3 fois, Oyapock se couche. Fini de tergiverser, je n’ai plus le choix : le voilier est trop toilé, il est grand temps d’aller affaler mon solent arisé (neuf hier encore) et d’en drailer le tourmentin, ma voile de tempête. Pourtant, je n’ai pas vraiment peur. A vrai dire, je n’ai pas vraiment le temps de savoir ce que je pense, il faut négocier chaque vague, chaque rouleau. Au rythme des rafales et de la houle, j’apprends vite que seule la vitesse m’assure un peu de sécurité. A bord, je suis projetée en permanence vers le bas et l’avant. Je ne compte plus les fois où je me casse la binette lorsqu’Oyapock, en haut d’une crête, vient s’écraser dans le creux des vagues ! Mon mini résiste mais je sens bien que ni lui ni moi ne sommes faits pour tenir ce rythme très longtemps. Je suis détrempée de la veille, mais je suis tellement concentrée à la barre que je ne pense même pas à enfiler ma combinaison de survie, un moyen pourtant très efficace de se parer contre l’hypothermie.

Lundi 23 Juilet, 13h : Ca y est, j’ai trouvé le rythme qui me convient. Armée de «pommepotes» (compote en tube) et de chocolat dans la baille à bouts, je tiens ferme la barre en surveillant les rouleaux qui déferlent, et j’observe. C’est un vrai cours de tempête, exactement comme dans le bloc marine ! Je n’ai jamais vu ça, c’est impresionnant et magnifique à la fois. Le bateau se laisse dompter malgré la houle ultra formée dans cette zone de remontée du plateau continental. Les plus hautes vagues me semblent parfois monter plus haut que le mât ! Je parviens cependant à apercevoir 2 concurrents dont je reconnais le tourmentin orange fluo. Pendant plusieurs heures, je navigue en compagnie de « Tamagoshi », le proto barré par Caroline, qui m’annonce à la VHF qu’elle n’a plus d’électronique ni de GPS. Pour elle comme pour moi, c’est plutôt rassurant de faire un bout de chemin ensemble. Ma nouvelle grand-voile dispose d’un troisième ris à la voilure relativement importante, et j’avance vite. Dans l’après-midi, un Falcon fait le tour de nos 2 embarcations et s’éloigne vers d’autres concurrents sans doute en difficulté. Nous n’avons pas de nouvelles, la VHF reste muette. Je pense au CNES et aux images que mon caméscope ne prendra pas (je n’ai pas préparé mon caisson étanche et, malgré quelques furieuses envies de descendre dans la cabine le préparer, la raison me dicte de rester à la barre). Je ne regretterai pas…

Mardi 24 Juillet, 2h30 : A quelques dizaine de milles de Santander, je vois au loin des fusées parachute. Il y a quelqu’un en détresse. Depuis la tombée de la nuit, les bateaux accompagnateurs relaient un message de sécurité à la VHF : rallier l’abri le plus proche. Pour moi, à ce stade, c’est Santander. A l’approche de la baie, je croise un énorme remorqueur qui part secourir Elodie, le skipper du Mini 460 qui a fait un 360° : elle a perdu son mât et a failli se noyer… Avec la fatigue, je peine à trouver la ligne. Oyapock la passe finalement en 7ème position. Quel plaisir de se retrouver à l’abri ! Je suis lessivée mais tellement contente : je suis arrivée devant «Orange mini » et tout un tas de vieux loups de mer bien meilleurs que moi. Le bilan de la première étape est lourd: il comptabilise une petite dizaine d’hélitreuillages, 5 démâtages, un safran arraché, deux voiliers détruits, un blessé et une noyée rescapée…

Mardi 24 Juillet, 13h : Mes yeux s’ouvrent sur une cabine qui baigne dans 15 cm d’eau. Amarrée au port, j’ai dormi dans un sac de couchage trempé, mais peu importe… j’ai enfin dormi ! Le retour d’expérience de la tempête est richissime en termes de sécurité. Et la première des nouvelles règles de sécurité est de fermer son capot quand il y a un risque de se retourner. C’est une erreur de ne pas l’avoir fait. Pendant les 4 jours d’escale, je soigne des douleurs au dos. Comme moi, les autres concurrents sont couverts de bleus sous l’avant-bras droit, celui qui nous retenait tant bien que mal aux filières. D’anciens collègues espagnols d’Arianespace et du CNES sont là pour m’aider à contrôler l’état de mon mini et à le préparer au retour. Cela me fait extrêmement plaisir.

Samedi 28 Juillet, 12h02 : Rappel général. La concurrence est rude sur la ligne de départ et ça mord largement. Le second départ est le bon. Tout comme le départ de Vendée, je me fais enfumer par des minis plus rapides et je passe la bouée de dégagement très loin dans le classement (15ème en partant de la fin!). Bigre, il y a du pain sur la planche. Je m’atèle à la tâche et je suis rapidement récompensée. Mon génak est en tête avant mes voisins, je pars au surf et je les distancie les uns après les autres…

Dimanche 29 Juillet, 3h : Force zéro ! Le vent est tombé, il n’y a plus une vaguelette. Le bateau refuse même de s’orienter dans le bon sens ! Je décide de dormir dans le cockpit 20 mn. Quand je me réveille, je ne vois plus aucune lumière derrière moi. Je ne vais tout de même pas me laisser faire … J’envoie le grand spi. Miracle, il me permet de progresser à 1,5 nœuds alors que les autres sont scotchés. Je ne suis pas seule: un étrange animal joue entre mes safrans. On dirait un très gros dauphin mais sa dorsale ne ressemble à rien que je connaisse. A pas de velours, nous progressons dans la nuit noire…

Dimanche 29 Juillet, 16h : J’ai rattrapé « Cultisol », le mini 539, qui court en double. Cultisol est une référence pour moi, sa voile multicolore se reconnaît de loin. Lorsque la brume se lève enfin cet après-midi-là, je découvre Cultisol dans mon tableau arrière. Un souffle à peine perceptible gonfle mon spi et je laisse son skipper Stéphane dans l’embarras. Je me sens dans la course. Toute la journée, à mesure que le vent monte, il me suit au loin sans pouvoir tenter quoi que ce soit. Ce n’est que tard dans la nuit qu’il saisit sa chance : après être monté, le vent chute de quelques noeuds alors que je viens d’affaler mon genaker. Stéphane et son équipier le renvoient aussitôt, je ne les imite que quelques minutes plus tard : trop tard, ils sont déjà passés devant moi !

Lundi 30 Juillet, 8h : Ce matin, la VHF est optimiste ! A l’écoute des arrivées successives, je comprends que je suis dans le top ten. Depuis 2h du matin, je suis au près serré. La nuit a été animée car la bande côtière était parsemée de chalutiers en exercice. Il n’y a personne devant moi à rattraper, mais 3 minis derrière en double tentent le tout pour le tout. Nous ne sommes pas concurrents directs mais la course est belle. Je passe la ligne en tête du groupe. Je suis 6ème sur cette seconde manche et 5ème au général. Bravo, belle place Oyapock!

Avec la Transgascogne s’achève toute une série de courses entamée il y a plus d’un an et destinée à me préparer à la Transat 6,50. Cette performance vient donc à point nommé pour booster ma confiance en moi à l’approche du grand rendez-vous. Et toute l’expérience que j’ai pu acquérir en traversant le Golfe de Gascogne, dans la tempête comme dans le petit temps, ne sera sans doute pas de trop pour traverser l’Océan Atlantique. Cette grande aventure, de La Rochelle à Salvador de Bahia (Brésil) en passant par Madère, nous vous invitons Oyapock et moi à la partager avec nous. Alors rendez-vous dimanche 16 septembre à 11h, pour le départ de la Transat 6,50 !