vendredi 19 septembre 2008

Départ de la Transat : un an déjà !

18 septembre 2008

Autopsie d'une Transat : le vertige du départ, les délices de l'arrivée

Voici un an qu’Oyapock et moi, on a pris le départ de la Transat 6,50.

L’occasion de revenir sur des extraits de vie du projet sportif et éducatif à travers le film « De l’espace pour la mer : une recette salée » (17 minutes).

Ce petit film, nous ne l’avions jamais mis en ligne, alors voici pour ceux qui ne l’ont pas encore goûté, une recette épicée au bon goût du large.

Avec le recul de cette année écoulée, c’est aussi l’occasion de vous livrer le récit de 2 moments sur lesquels je ne m’étais pas attardée. Qui mettent en scène le regard des autres. Le vôtre.

Le vertige du départ

Mardi 18 Septembre 2007. Il est 7 heures du matin, et les coureurs commencent à quitter les pontons. C’est un moment qu’on redoute un peu lorsqu’on est marin, qui plus est sur le départ. Sans vouloir paraître sainte nitouche, quitter sa famille dans ces circonstances n’est pas un exercice facile. Pourtant, ça fait déjà quelques jours qu’Oyapock et moi, on trépigne. La préparation, même incomplète, n’a que trop duré ! Partir est devenu une nécessité. Je détache moi-même mes amarres après avoir embrassé et ré-embrassé les quelques irrésistibles qui ont tenu bon, malgré le retard de 2 jours imposé par les caprices de la météo. Et cette fois-ci, c’est vraiment parti.

… Bigre !

Les marins et leurs montures passent un à un le pont levis du bassin de pêche, une petite foule pas bien réveillée se presse pour les saluer. Les bateaux luisent sous le soleil levant. Il est encore très tôt, il fait frais. Chaque carène, tirée par un zodiac, glisse gentiment vers la sortie à travers des effluves de brume matinale. Un peu d’imagination et leur passage prendrait presque des allures de procession religieuse ! L’instant est rythmé par les applaudissements des quelques inconditionnels amassés au niveau du pont-levis. Mon tour arrive. Ca fait un peu drôle et autant le dire, je suis un peu émue.

Dans le cockpit, je m’affaire à hisser ma grand-voile. Me voilà bien, elle refuse de monter. Deux semaines de préparation intensives pour en arriver là, c’est quand même fort de chez fort… Tant pis, on verra ça plus tard. Pour l’instant, il m’est impensable de rater cet instant magique, le passage de l’écluse ne va durer que quelques secondes… Est-ce que je vais reconnaître quelqu’un ? Quel sera le dernier regard avant Madère ? ...A l'approche, les regards se croisent, s'agrippent, se connectent, se suivent... jusqu'à se perdre au loin. J’ai la furieuse impression de me mettre à nu devant tout ce monde. Comme si ce passage était le symbole d’un engagement envers eux. Je vois bien au travers de leurs expressions que l’idée de l’aventure que nous allons vivre leur inspire le respect. C’est presque trop pour moi… Et peut-être même une excuse de plus pour disparaître plus vite encore !

J-3, J-2, J-1...

...Un mois s'est écoulé. Combien de clairs de Lune ai-je passé à essayer de superposer les étoiles dessinées dans le spi d'Oyapock avec celles de la voûte céleste ? Depuis plusieurs semaines, nous vivons de jour comme de nuit au rythme des vagues, avec le bruit de l'écume dégagée par l'étrave de nos bolides, le grésillement de la VHF, le spi qui claque quand il est temps de reprendre ses réglages...

Mais ce matin, le tour d'horizon que je porte au lever du jour m'annonce l'arrivée de la côte brésilienne. Enfin... Ou dejà ? Ivresse ou frisson ? Chaque jour passé à bord a apporté son lot de galères. Malgré les coups durs, les bleus et les bobos, les mains qui ne ressemblent plus à rien, au fond, on a beau se plaindre, on n'est pas si mal dans nos 5 m3. A l'approche de la terre, on se remet à compter les jours : J-3, J-2, J-1. Le jour de l'arrivée nous tombe dessus à l'image du plongeur pris par l'ivresse des profondeurs...

Les délices de l’arrivée

Me voilà debout sur le pont avant d’Oyapock, le visage bruni, les lèvres gercées. La tignasse sacrément salée. Les yeux sont plongés dans le flou le plus total. Je n’ai aucune idée de l’heure. Je sais juste que la nuit est tombée depuis pas mal de temps maintenant, que j’ai lutté trop longtemps contre le courant de la baie de tous les saints, cette baie giganteque qui a eu l'idée saugrenue de se vider à mon passage. Sans paraître, les minutes se sont transformées en heures. Et les heures se sont égrainées au fil du courant.

Tenace, il a fallu le rester jusqu’au bout. Cela m’a permis de doubler Pic, le proto, n° 573 éh éh, dernière petite jouissance avant la ligne d’arrivée. Avec la nuit et ma vitesse d’escargot (6 nœuds vitesse surface, 1 nœud en vitesse fond), j’ai même cru qu’il n’y aurait plus personne à l’arrivée. Comme beaucoup d’autres, ma balise de positionnement est en effet HS depuis près d’une semaine (le comité de course n’a pas pu prévoir l’heure de notre arrivée) et vu le courant, j’aurais tout aussi bien pu mettre 24 heures pour parcourir les tous derniers milles.

Le passage de la ligne se produit enfin. Personne, si ce n’est 2 zodiacs qui s’affairent au loin autour de Pic. Bon, et maintenant, qu’est-ce-qu’il se passe ? Je ne comprends pas bien ce que je dois faire. Je les affalerais bien mes voiles mais à cette allure, il ne me faudra que quelques secondes pour repasser la ligne dans le sens inverse… Ah voilà un zodiac qui se dirige vers moi. A son approche, ma lampe frontale éclaire un cou, un cou qui porte un collier que je reconnais bien. Je suis fatiguée, je ne comprends pas bien. Très vite, de jeunes brésiliens montent à bord et me prennent la barre des mains.

Je n’ai plus qu’à affaler mes voiles et accueillir une maman pleine d’enthousiasme à bord. Le coquillage en pendentif, c’est celui que j’avais offert à ma tante, qui est là aussi, et qui m’embrasse ! Moi qui croyais que tout le monde serait couché, je sens un grand bol de bonheur m’envahir. Alors, tout ceci signifierait que je suis arrivée ?

A l’approche des lumières de la ville, je perçois la musique brésilienne qui monte depuis les pontons. J’ai un peu peur de revoir tout ce monde, et en même temps je sens mon cœur qui s’emballerait presque sous la polaire.

La manœuvre est contrôlée, Oyapock vient mourir sur un ponton qui n’est pas éclairé. Malgré l’ambiance de fête, les silhouettes que je ne reconnais pas encore semblent vouloir respecter ma prise de conscience et me laisser les reconnaître. A mon rythme. Avec ma lampe frontale, je balaie lentement les visages dont je devine les sourires. Je suis tellement heureuse de les revoir ces bandes de vieilles canailles ! La famille, les coureurs, ceux avec qui nous avons palabré longtemps à la VHF. L’instant est magnifique. De contempler ces visages, de serrer ces êtres dans mes bras, je sens que j’ai été seule longtemps. Un bonheur immense coule dans mes veines, le bonheur de pouvoir enfin partager, le bonheur de retrouver l'autre. Les autres. Vous !

« Etrange discours que celui qui arrive, moitié les mains, moitié les yeux, parce que les mots n’en disent pas assez. Les premiers mots et nous avons tout dit. Un coup d’œil au bateau et les autres ont tout compris, les galères, les bonheurs, les heures de solitude. Il y a plus que la complicité, plus que la tendresse ou l’intelligence, il y a entre nous la vie brute, dense. C’est la magie de la Transat 6,50. Ce n’est pas seulement une affaire sportive, une course à la place ou un record. C’est, avant tout, le fait de gens qui se donnent un jour à une histoire de mer toutes affaires cessantes, comme on vit une histoire d’amour.

Quelques heures avant, nous étions seuls depuis des semaines, râlant, bataillant, rêvant du cocotier final. Se demandant quelle heure il sera à Salvador parce qu’on n’a plus assez de lucidité pour recalculer le décalage horaire. Le petit coup de corne de la ligne d’arrivée a des airs de fin de galère, mais il donne aussi le début de la course au souvenir, car chacun sait bien que l’important était en mer. Mille fois nous referons la course. Nous allons palabrer, discuter, rêver à la prochaine, couvrant du regard notre orgueil, nos petits bateaux qui se dandinent dans l’eau tiède. »*

A bientôt à bord de Cupuaçu,

Véronique

* Extrait de La Mini-Transat, 30 ans d’aventures (Jean-Luc Garnier)